Comprendre qui est l'autre pour comprendre qui on est [PV Haru & Aku]

-« T'as intérêt... à gagner la finale... »

Ce furent là les derniers morts de Ai avant qu'elle ne sombre dans l'inconscience pour se réveiller quelques dizaines de minutes plus tard, allongée dans un lit médical à l'infirmerie. Le combat était désormais terminé et la foule avait été en délire jusqu'à la fin, les multiples rebondissements et les tactiques qu'avaient employées les deux combattantes leur avaient largement donné de quoi se divertir et bien plus encore. Les organisateurs devaient être heureux d'avoir eu un tel combat à montrer à leur public malgré les quelques blessures que les participantes avaient reçues, et elles seraient bien vite soignées de toute façon. Ce simple divertissement pour presque tout le monde avait finalement pris tout un autre sens aux yeux de la lycéenne qu'était Ai Etsu. Elle avait découvert qui elle était, maintenant, et quelles étaient ses limites. Et puis elle avait aussi redécouvert un peu Akutoku qui, visiblement, ne croisait son chemin que dans des circonstances violentes.

Maintenant qu'elle était réveillée, Ai découvrait qu'elle avait mal à bien plus d'endroits qu'avant. C'était presque comme si les médecins s'étaient amusés à la frapper durant son sommeil vu qu'elle ne pouvait pas répondre mais elle comprit bien vite qu'elle avait simplement forcé sur ses muscles bien au-delà de leur limite et que, eux-aussi, en avaient souffert. Ça et aussi les multiples coups qu'elle avait reçus. Malgré tout, malgré la défaite et la douleur, Ai se sentait plutôt bien. Elle avait fait un combat honorable contre une lvl 4 et n'avait jamais abandonné. Elle avait failli gagner même... Enfin plus ou moins. Plus elle y réfléchissait et plus l'issue du combat était évidente, quel que soit le moment auquel on pensait. Cette Reitoko... Quel adversaire terrible... Cela dit elle avait quelque chose de... moins terrifiant que ce qu'on entendait sur elle tous les jours. Elle était... différente... Et Ai avait envie de discuter avec elle. Sans être dans une soirée terrible où elles risquaient la mort, sans être dans un événement où elles étaient obligées de se battre. Ai voulait juste connaître cette Akutoku et, pourquoi, devenir amie avec elle... Enfin bon, elles s'étaient promis de se parler après tout ça de toute façon.

Une infirmière passa voir Ai et, après quelques questions, elle lui indiqua qu'elle allait désormais permettre aux visiteurs de venir la voir et, à peine était-elle partie qu'une première personne vint la voir. Restant allongée pour ne pas se faire mal, Ai tourna la tête vers elle en souriant légèrement, attendant qu'elle ne soit à portée de voix pour engager la conversation.

Haruhiro se racla la gorge en une grimace. Même si Ai ne l’avait probablement pas entendu, il avait été son supporter numéro 1 pendant le dernier combat, hurlant à pleins poumons lorsque cela lui avait semblé nécessaire et maudissant silencieusement les contres de la jeune fille aux cheveux bleus. Finalement, le combat s’était terminé par la défaite de sa colocataire mais à level 3 contre level 4, chaque coup porté était déjà une petite victoire. Akaiko non plus n’avait pas gagné contre Léna lors du combat précédant, propulsant les deux niveaux 4 au troisième round… dire que c’était prévisible était trop facile et du point de vue de l’adolescent, les levels 3 du tournoi se défendaient plutôt bien, tout en offrant des combats plus civilisés que ce qu’il avait produit avec Aoka au premier tour.

Dès la fin de l’affrontement annoncée, l’adolescent s’était rué hors des tribunes pour rejoindre l’infirmerie. La fin du combat l’avait particulièrement inquiété. D’une part parce que les attaques étaient totalement sorties du cadre auquel il s’était préparé mentalement et d’autre part parce qu’il était probablement la seule personne à savoir ce par quoi Ai était passée, et ses réactions l’avaient largement surpris sur la fin du combat. Enfin, il y ressentait un étrange malaise qu’il n’arrivait pas à expliquer vis-à-vis de cette Akutoku. Mais peut-être que c’était juste son visage de zombie ?

L’infirmière sortit enfin de la chambre, signalant à l’adolescent qu’il pouvait entrer, ce qu’il fit un peu brusquement sans le vouloir. Il ralentit le rythme au moment où il vit Ai et son sourire. Rassuré, il fit quelques pas en passant une main dans son éternelle touffe de cheveux ébouriffés, un petit toc donc il n’était pas prêt de se défaire.

« Salut toi », sourit-il en penchant sa tête sur le côté de façon à être face à face avec Ai toujours allongée « T’étais à ça, bien joué ! » ajouta-t-il en mimant une distance à peine visible avec son index et son pouce.

Il soupira, l’air taquin « Et dire que je pensais que tu allais faire des combats opposés au mien, est-ce que je n’aurais pas un peu déteint sur toi par hasard Etsu-san ? »

En vérité, Haruhiro n’était pas déçu qu’Ai ait perdu le match, d’un côté il était un peu désolé pour elle qui aurait sûrement voulu aller plus loin mais de l’autre, il y aurait eu Léna en finale, et il avait vu de quoi elle était capable. Sans oublier le level 4 en costard, savoir qu’Ai n’aurait pas à affronter les mastodontes le rassurait, mine de rien.

Il se pencha une fois devant le lit et demanda, plus bas, sur un ce ton subtilement inquiet et inspirant la bienveillance qu’il avait souvent utilisé avec Ai dans l’hôpital

« Ça va ? »

Voir Ai de nouveau dans un lit médical n’était pas franchement quelque chose qu’il appréciait après ce qui s’était passé mais après l’état dans lequel il avait fini après son combat contre Aoka, il n’avait probablement rien à dire là-dessus, pas vrai ?

Evidemment, la première personne qui était venue la voir ne pouvait être autre que Haru. Arrivant visiblement rapidement jusqu'au moment où il pouvait la voir, Ai s'amusa de le voir tenter de la jouer cool alors qu'il semblait inquiet et à la limite de la panique après le combat qu'elle venait de mener.

« Salut toi » dit-il sur son éternel ton mi-inquiet mi-rassurant dont il avait le secret. « T’étais à ça, bien joué ! »

Ai détourna le regard pour observer le plafond lorsqu'il lui dit cela. Avait-elle vraiment été si proche que ça de la vaincre ? Elle en doutait maintenant. Peut-être qu'en jouant mieux la carte du faux abandon elle aurait pu gagner mais à la fin Akutoku avait montré à quel point ses efforts étaient risibles. Elle avait pu reformer ses défenses et se fortifier au point de moins souffrir en prenant les coups que Ai en les donnant, à bien y repenser, à partir de ce moment-là, Ai n'avait jamais été aussi loin de vaincre. Et puis elle s'était laissée aller au point de ne plus vraiment appliquer les techniques de judgement, peut-être cela se serait-il mieux passé sinon...

Haru sembla se rendre compte de son état pensif et se pencha légèrement vers elle avant de lui demander : « Ça va ? »

En réalité c'était dur à dire. Elle était fière de son combat et sa défaite n'avait plus vraiment d'importance. Ai ne comptait pas spécialement gagner le tournoi ni même aller en finale mais il s'était passé tant de choses dans ce combat... Elle avait un peu appris à connaître Akutoku, un peu seulement car la situation n'était pas vraiment propice à ça, mais surtout elle s'était rendue compte de beaucoup de choses sur elle-même. En fait si, la réponse était évidente. Elle était sereine et heureuse et s'était enfin rendue compte qu'elle était bien aujourd'hui. Et que sa quête d'atteindre celle qu'elle avait été un jour était terminée. Elle était contente de qui elle était aujourd'hui et se sentait mieux que jamais.

-« J'ai mal partout mais... oui, ça va. Ça va très bien même. »

Essayant de se redresser dans son lit, elle laissa échapper un léger gémissement de douleur.

-« Je sais pas... je suis contente en fait. Je crois que j'ai enfin compris qui j'étais et je peux enfin être moi-même, tu comprends ? 'fin bon, je vais bien, t'en fais pas pour moi. Et puis les médecins vont me remettre d'aplomb bientôt. »

Laissant un léger silence après la réponse de Haru, Ai tourna son regard vers lui, le regardant dans les yeux.

-« Eh Haru... j'ai faim. Viens ce soir on mange des lasagnes. »

-« J'ai mal partout mais... oui, ça va. Ça va très bien même. »

La nouvelle rassura Haruhiro, voilà qu’il s’était inquiété pour rien. Au fil des mois l’adolescent avait involontairement développé un côté surprotecteur envers Ai, conséquence directe de son évolution depuis sa sortie de l’hôpital. Ainsi ça n’était pas la première fois qu’il s’inquiétait pour pas grand-chose, puisque Ai avait le plein contrôle de la situation. Il devait apprendre à s’inquiéter moins maintenant, plus facile à dire qu’à faire.

-« Je sais pas... je suis contente en fait. Je crois que j'ai enfin compris qui j'étais et je peux enfin être moi-même, tu comprends ? 'fin bon, je vais bien, t'en fais pas pour moi. Et puis les médecins vont me remettre d'aplomb bientôt. »

L’adolescent leva un sourcil à cette déclaration. Elle était contente ? Contente d’avoir perdu alors ? Haruhiro lui-même ne pouvait pas dire qu’il était déçu de l’issue de son combat contre Akaiko, après-tout il avait pu mettre en pratique ses nouvelles techniques et tester l’étendue de ses progrès. Il n’aurait pas pensé qu’il était possible d’en apprendre autant sur soi-même pendant un combat cela dit. Mais Ai était sérieuse alors peut-être qu’il n’avait pas vraiment besoin de comprendre le pourquoi du comment ; si l’affrontement contre la niveau 4 de Nagatenjouki lui avait apporté quelque chose de positif alors tant mieux.

« Du moment que tu vas bien ! » fit-il soulagé. Lui de son côté qu’est-ce qu’il avait apprit dans son combat contre Akaiko ? « Taper plus fort » ? Hm, probablement quelque chose comme ça.

Ai se tourna vers lui, ayant apparemment une idée en tête :

-« Eh Haru... j'ai faim. Viens ce soir on mange des lasagnes. »

[ Ah… ]

« Hmmm, bonne idée ! Mais c’est toi qui cuisine alors, moi je vais les brûler tes lasagnes. »

Les derniers instants du combat avaient pour ainsi dire légèrement coupé l’appétit du jeune homme. Ce genre d’attaque n’était pas quelque chose qu’on voyait tous les jours, même au sein des espers et Haruhiro ne pouvait s’empêcher de faire un léger blocage sur la méthode.

[ Reitōko Akutaku… Akutoku ? Je me demande bien ce qu’il l’a poussée à aller aussi loin pour battre Ai. ]

Biensûr il y avait le facteur level 3 versus level 4, mais pour une raison que Haruhiro n’arrivait pas à identifier, il sentait que quelque chose était différent chez cette jeune fille, alimentant le sentiment de malaise qu’il éprouvait à son égard. Un bruit se fit entendre dans son dos, le faisant se retourner vers la porte de la chambre.

« T'as intérêt... à gagner la finale... »

Le pistolet d’Ai tirait sur Akutoku au ralentis, une balle invisible traversant l’air que seule elle pouvait voir. Elle se tira de sa rêverie en regardant sa main gauche bandée. Celle-là n’était pas un trou de balle. En se relevant de son siège, elle fit s’écrouler quelques feuillets de dessins sur lesquels elle laissait glisser un regard distrait. Qu’est-ce qu’elle pourrait faire ? Qu’est-ce qui fonctionnerait sur Eitaro Kimura, son sempai, et surtout, sur Lena Anderson… ? Elle avait des idées. Elle en fourmillait, en vérité. Pourquoi est-ce qu’elle gagnerait ? Elle était venu pour régler ce qui était en suspend. Elle l’avait fait, non… ? Pas encore. L’horloge tiqua en attirant son attention.

[ Pas encore. ]

Sa main caressa le mur alors qu’elle avançait dans les couloirs du complexe, guidée par une musique qui là encore, n’existait que dans sa tête. Ou peut-être pas… Cachée des sons extérieurs derrière ses écouteurs reliés au téléphone glissé dans la poche de sa veste, Akutoku fermait les yeux, essayant d’avancer à l’aveugle. Les couloirs se tordirent bien vite sans qu’elle n’en soit effrayée. Le gris devint le blanc livide d’un hôpital. Elle descendait les escaliers. L’adolescente se crispa légèrement.

Il y avait quelque chose en bas. Le souvenir de ce regard lui traversa l’esprit. Il ressemblait à celui des filles de cette expérience, White Alligator. Il ressemblait… Au sien ? Non. Il y avait quelque chose d’encore plus froid, d’encore plus… Inhumain. Tordu. Brisé. Vide. Était-ce le regard d’un tueur ? Le regard d’un tueur… Son pied quitta la dernière marche de l’escalier de l’hôpital pour toucher le sol sale des ruelles. Le regard d’un tueur… Aku se crispa, les yeux toujours fermés. Du rouge colorait les alentours. Une scie de glace tournait et retournait dans un paramilitaire. La sienne. Le regard d’un tueur… Les yeux effrayés de l’adolescente aux cheveux bleus se reflétèrent dans la glace bleutée, revenant à l’envoyeur.

[ C’est ça le regard d’un tueur ? ]

Elle rouvrit les yeux, la main près de la porte de l’infirmerie. Elle était contente d’avoir fait ce chemin sans ciller, même si elle avait dû fermer les yeux. Elle se sentait mal, mais bien aussi. Elle avait envie de vomir, mais elle avait aussi une faim de loup. Elle voulait frapper Akai encore et encore, et elle voulait aussi se plonger dans ses bras. Elle voulait se préparer pour la finale, et elle voulait franchir la porte et aller parler à Ai Etsu. En retirant les écouteurs de ses oreilles, Akutoku lâcha un long soupire. Elle faisait ce qu’elle avait envie. Elle pouvait changer la réalité, non ? Elle leva la main vers la poignée en hésitant. Et puis, elle traversa finalement la porte, son regard glissant sur le côté dès que son cerveau lui indiqua la présence du dos de quelqu’un d’autre.

« Hum… Excusez-moi... »

Son regard se releva bien vite en direction du duo. Une seule tête lui revenait. C’était la bonne.



« Je ne vous dérange pas, sempai… ? »

-« Oh nan, je suis trop fatiguée pour cuisineeer... on se fera livrer ou on passera prendre un truc en rentrant. »

Ai n'avait jamais été aussi fatiguée de sa vie. Enfin pas de cette vie en tous cas, bien qu'elle n'eut commencé qu'il y a peu. A bien y réfléchir, elle se rappelait de l'état lamentable dans lequel elle avait fini cette fameuse nuit et à quel point le moindre pas était devenu un challenge alors même qu'elle continuait à se battre. Et qu'elle portait Aku pour l'emmener avec elle pour lui servir autant d'arme que de bouclier...

En y pensant, Reitoko allait certainement finir par venir la voir. Que ce soit maintenant ou après le tournoi, elles s'étaient promis de discuter de tout ça après s'être battues mais Ai ne savait toujours pas quoi en penser. Bien qu'elle ait recouvré tous ses souvenirs ou presque, elle n'avait jamais été confrontée à eux de façon aussi directe. Après tout, même si Haru avait été celui pour qui elle s'était jetée dans tous ces problèmes, elle ne l'avait vu qu'au tout dernier moment et avait donc beaucoup plus d'images de lui comme étant son repère, son sauveur depuis lors, que d'images de cette nuit qui lui revenaient quand Ai le voyait. Ce n'était pas le cas pour Reitoko-san. Elles ne se connaissaient que de loin avant tout ça et ne s'étaient pas revues depuis. Lorsqu'Ai pensait à elle, elle ne voyait finalement que des situations de combat, que ce soit lors du tournoi ou durant l'attaque de la cité scolaire.

Elle ne savait pas si c'était un mécanisme de défense ou une conséquence réelle de sa perte de mémoire, mais Ai voyait ses anciens souvenirs comme s'il s'agissait de ceux d'une autre. De la même manière qu'elle voyait celle qu'elle était avant comme une toute autre personne, elle visualisait ses souvenirs comme ceux de celle qu'elle avait été autrefois et peut-être que de parler directement de tout ça à Akutoku allait changer ça, que ce soit pour le mieux ou pour le pire.

Des pas attirèrent l'attention de Ai, se dirigeant vers la porte de sa "chambre". Et soudain la poignée s'actionna et la porte s'ouvrit doucement, laissant entrer une tête aux couettes bleues dans la pièce. Ai sourit légèrement en voyant son expression un peu gênée et tenta de se redresser sans grimacer.

« Hum… Excusez-moi... » dit-elle avant de redresser la tête dans sa direction « Je ne vous dérange pas, sempai… ? »

-« Ah Reitoko-san. Non tu ne déranges pas du tout. Tu es déjà remise de notre combat ? Je pensais avoir été plus forte que ça. » dit Ai en souriant « Tu voulais qu'on discute du coup ? Tu veux faire ça en tête à tête ou c'est bon ? » dit-elle avant de lancer un regard rapide à Haru.

« Hum… Excusez-moi... Je ne vous dérange pas, sempai… ? »

Le cerveau de Haruhiro fut comme victime d’un bug lorsqu’il vit la jeune fille entrer dans la chambre. Évidemment, pourquoi n’avait-il pas fait le lien plus tôt ? Cette adolescente… Des images chaotiques rejaillirent dans l’esprit du jeune homme. Il ne l’avait pas reconnue tout de suite à cause de l’état dans lequel il se trouvait lors de leur première « rencontre ». Les cheveux bleus avaient été un indice mais le visage, ça n’était que maintenant qu’il le voyait de près, en chair et en os qu’il le reconnaissait. Blafard, creusé de cernes et des yeux d’un bleu presque artificiel. Akutoku Reitōko alors.

Cette nuit là, Haruhiro avait craqué : le stress la panique, la peur et l’adrénaline avaient constitué un mélange qui avait été de trop pour son esprit trop fragile pour la situation. Alors il avait perdu le contrôle. Non pas le contrôle de son pouvoir mais le contrôle de ses émotions. À partir de là les souvenirs étaient flous et il avait fallut des semaines au garçon pour se remémorer ce qui s’était passé exactement. Le visage d’Akutoku lui était finalement revenu, en même temps que ce qu’il lui avait fait. Voilà donc d’où lui venait cette sensation désagréable vis-à-vis de la jeune fille. Ça n’était pas elle qui était en était la cause, mais lui.

Le ton interrogatif de Ai ramena Haruhiro au présent. Sa gorge était sèche tout à coup… dieu ce qu’il détestait se rappeler de ces passages là.

« Ah euh… je vais sortir un peu. Je repasserai tout à l’heure. » fit-il en esquissant un sourire maladroit et peu convainquant.

Son rythme cardiaque avait triplé et bien qu’il faisait son possible pour cacher son agitation, l’adolescent savait mieux que personne que porter un masque n’était pas son fort. Ça et puis…
« Reitōko-san, dit-il en ouvrant la porte, j’aurai quelque chose à te dire quand vous aurez fini. Je serai dans le couloir. »

Faisant un petit signe de la main à Ai, il sortit de la chambre et ferma la porte derrière lui, presque à bout de souffle. C’était comme ça à chaque fois qu’il repensait à ce qu’il s’était passé dans l’hôpital et avant. Il n’aurait pas le courage de confronter Akutoku tout de suite, il devait d’abord se calmer et ordonner ses idées sous peine de vraiment faire une crise de panique. Même si sa réaction devait être un peu étrange pour Ai, il préférait éviter qu’elle soit au courant de l’incident.

Pour l’heure, il avait extrêmement soif. Il se décida finalement à bouger de devant la porte au bout de quelques secondes pour se diriger vers les distributeurs un peu plus loin. Ai et Akutoku avaient probablement plein de choses à se dire depuis les événements d’octobre, ce qui lui laisserait au moins quelques minutes pour se calmer et revenir s’excuser auprès de la jeune fille aux couettes bleues.

« Ah Reitoko-san. Non tu ne déranges pas du tout. Tu es déjà remise de notre combat ? Je pensais avoir été plus forte que ça. »

Akutoku laissa se dessiner une légère grimace. C’était une blague ? Pourtant, elle ne put s’empêcher de réaliser que sa camarade était dans un lit… Par sa faute. Son regard glissa de nouveau vers son silencieux camarade le mur de droite.

« Tu voulais qu'on discute du coup ? Tu veux faire ça en tête à tête ou c'est bon ? »

« Hu ?… Heu... »

Après avoir papillonné des paupières, l’adolescente aux couettes bleus releva son regard vers l’autre occupant de la salle. Voilà qu’elle reprenait les mauvaises habitudes, elle l’avait fait disparaître de son cerveau, sa vision périphérique l’avait flouté. Il faut dire qu’avec son air ahuri, il se fondait bien dans le décor. Il n’y avait que cette touffe chaotique qui sortait du lot. Du reste, Akutoku était sûre d’avoir vu plusieurs modèles comme ça à la Cité Académique.

[ Un ami… ? ]

Heureusement, elle n’eut pas à faire le moindre choix, car il ouvrit la bouche avant qu’elle ne se décide à le faire.

« Ah euh… je vais sortir un peu. Je repasserai tout à l’heure. »

Il lui souriait avec l’air de se moquer d’elle, mais Aku mis ça sur le dos d’une autre genre de plaisanterie. Elle, de son côté, gardait son expression contrite, attendant qu’il décide où se placer. Elle ne lui accorda rien d’autre en le laissant rejoindre la porte, silencieuse.

« Reitōko-san, j’aurai quelque chose à te dire quand vous aurez fini. Je serai dans le couloir. »

[ Hein… à moi ? ]

Akutoku jeta un regard vers la porte sur le point d’être fermée, ne sachant comment réagir. Elle se contenta d’hocher la tête alors qu’il lui tournait le dos. Elle ne vint replacer son regard sur sa sempai qu’une fois qu’elle entendit le bruit de la porte se refermer. Encore hésitante, elle ravala ses derniers regrets et vint rejoindre le chevet d’Ai Etsu, restant debout et avec une distance limite pour la laisser respirer.

« ...Ça va ? »

[ Non, hein... ]

« Je voulais vous dire… Désolée… Et aussi, je ne vous en veux pas, sempai. Vous avez fait tout ça pour gagner, je l’aurais fait aussi. »

Elle porta une main à ses lèvres sans le remarquer, son regard glissant vers le sol carrelé. Elle ne claquait vraiment plus des dents… ? C’était… Par pur réflexe, elle vint poser ses dents du haut sur celles du bas. Mais, pleinement consciente, elle les éloigna bien vite.

« Vous étiez forte. C’était un beau match. »

Akutoku s'avança pour venir aux côtés de Ai, l'air légèrement perdue lorsqu'elle regardait Haru. Désormais toutes les deux, elles pourraient parler librement de tout ce qu'elles avaient à se dire, même si ça risquait d'être difficile à aborder.

« ...Ça va ? » s'enquit Reitoko-san, l'air véritablement concernée par la réponse. « Je voulais vous dire… Désolée… Et aussi, je ne vous en veux pas, sempai. Vous avez fait tout ça pour gagner, je l’aurais fait aussi. »

Souriant légèrement en essayant de ne pas trop bouger, Ai regarda sa camarade dans les yeux.

-« Ben en fait ça va. J'ai un peu mal mais c'est surtout des contusions et mes muscles qui me rappellent à l'ordre, m'indiquant que je devrais y aller plus doucement à l'avenir. » dit Ai en essayant de faire un trait d'humour, voulant absolument faire comprendre à Aku qu'elle n'avait rien fait de mal. « Et oui... j'ai fait ça pour gagner mais bon... C'était un peu bas, j'aime pas trop ça... Par contre toi tu as été impressionnante sans avoir à utiliser de tels stratagèmes, et tu en gardais encore en réserve quand j'ai feinté l'abandon, bien plus que ce que j'aurais imaginé. »

Ai avait prit un ton assez enthousiaste. Elle était effectivement impressionnée par ce qu'avait pu faire Reitoko-san et ne lui en voulait de rien. Quelle que soit la façon dont elle y repensait, Ai n'avait aucun regret sur ce qui s'était passé dans ce dernier combat. Elle avait montré son plein potentiel et avait prouvé sa valeur sans pour autant gagner en utilisant un stratagème, lui donnant une sensation douce-amer face à une telle victoire.

« Vous étiez forte. C’était un beau match. »

Souriant de plus belle, Ai lâcha son adversaire des yeux et regarda le plafond. Elle réfléchissait autant au passé proche du combat qu'au plus lointain. Peut-être ce combat était-il le point final d'une lutte bien plus longue pour la lycéenne. Il lui restait encore de grands obstacles à franchir mais elle se sentait prête aujourd'hui. Elle avait le mental suffisant pour résister et ne pas se déchirer en petites pièces pour devenir encore une nouvelle personne.

-« C'était un beau match oui... Même si finalement je n'ai jamais vraiment été proche de la victoire je suis satisfaite de ce que j'ai fait. Et puis c'est clairement mieux que tu ailles en finale plutôt que moi. » dit-elle en finissant par regarder à nouveau Akutoku.

Inspirant longuement, Ai laissa un léger silence s'installer dans la pièce avant de trouver le courage d'aborder maintenant le vrai sujet.

-« Et du coup, à propos de cette fameuse nuit... De quoi tu voulais qu'on parle exactement ? »

« C'était un beau match oui... Même si finalement je n'ai jamais vraiment été proche de la victoire je suis satisfaite de ce que j'ai fait. Et puis c'est clairement mieux que tu ailles en finale plutôt que moi. »

Les remords se mélangèrent à une légère surprise. Ai semblait vraiment accepter sa victoire et la trouver légitime. Aku, elle, était fière d’avoir gagné, et fière d’avoir traversé une nouvelle barrière. Ce potentiel avait toujours été en elle, mais jamais n’avait-elle réussit à l’exploiter. Sans Ai pour la pousser dans ses derniers retranchements, elle n’aurait peut-être jamais traversée cette barrière… Barrière… D’où venait le blocage, déjà ?

« Et du coup, à propos de cette fameuse nuit... De quoi tu voulais qu'on parle exactement ? »

Pourquoi elle avait été jusqu’à maintenant terrifiée d’utiliser le propre liquide contenu dans son corps… Ah, cela lui revenait. Ce léger silence avait été assez pour faire le tri dans son cerveau, qui avait décidé d’arrêter de lui cacher certains tiroirs. Une expérience qui avait mal tournée. Elle était jeune… Un RSPK syndrome… Un scientifique… Elle frissonna.

[ Cryogenisation… J’avais déjà tué quelqu’un. ]

Elle resserra les poings, cherchant le moindre nom, la moindre expression faciale, la couleur des cheveux, des yeux peut-être… Rien. Ses lèvres tremblèrent un instant avant qu’elle ne retrouve son calme. Non, son cerveau avait supprimé définitivement tous ses souvenirs là. Comme pour le paramilitaire, elle n’avait droit qu’à un visage flou, brouillé. Effacé dans sa mémoire, effacé dans la réalité. Akutoku avait mis un terme à la vie de deux personnes, les privant de rédemption, les privant d’espoir, les privant de futur. Akutoku avait privé deux personnes de leur droit d’exister. Un air glacial l’envahit, de l’intérieur comme de l’extérieur. Cryogenisation n’y était pour rien.

« Sempai... »

[ Est-ce que je peux parler de ça avec elle… ? Avec tout ce qui est arrivé… Non. Il n’y a qu’avec elle que je peux en parler. Personne d’autre… Personne d’autre. ]

Les visages des scientifiques du Bloc G, de ses camarades de classe, de Lena Anderson, de Genji, d’Izayoi Hasakura, de Kimura-san, de Satoshi Sugimori… Qu’est-ce qu’ils diraient ? Est-ce que leur opinion d’elle changerait ? Une meurtrière. Une meurtrière. Elle avait tué des gens. Bons ou méchants… Non, qu’est-ce que ça voulait dire ? Elle avait tué deux humains, deux personnes. Des scientifiques dans sa mémoire vinrent lui apparaître. On lui tendait la main. Des images… Un casque sur les yeux. Sa glace… Tirée, tordue, modelée… Des armes ? C’était leur faute ? Est-ce que c’était leur faute ? Pendant l’espace d’une seconde, elle soupira de soulagement dans le silence laissé par la question d’Ai. L’instant d’après elle avala sa salive en s’insultant de tous les noms.

[ Waow, reporter la fautes sur d’autres gens, pas mal, pétasse. Sur ceux qui t’ont permis de monter au niveau auquel tu es, à impressionner tous ses gens. « Reine de Glace »… Sans eux, tu n’existerais pas de la même façon pour Akai, ou Lena. Sans Cryogenisation… Tu ne pourrais pas gagner la finale pour tout l’monde.  ]

Akutoku vint attraper un de ses bras alors que tout tournait autour d’elle. On lui criait dans les oreilles. On l’aplaudissait. Les gens qu’elle avait tué rampait dans sa direction, demandant à ce qu’on leur rende leur visage. Des lignes de calculs courraient dans son esprit. Et elle craqua. Aku vint cacher son visage de sa sempai, geignant comme une enfant. Elle fit de son mieux pour cacher ses pleurs qui déformaient son visage, lui asséchaient la gorge. Des larmes salées vinrent glisser jusqu’à ses lèvres. Tournée sur le côté, elle lâcha un grand soupire, essuyant son visage avec son avant bras. Un sourire et un regard perdu collé sur le visage, Akutoku et ses sentiments bouillonnant vinrent se tourner vers Ai, cherchant du réconfort dans ses yeux ou ses cheveux. Eux étaient visibles, réels.

« Sempai… Est-ce qu’on a le droit de vivre après avoir tué des gens... ? Est-ce que… Est ce que c’est juste… ? »

Akutoku sembla se perdre dans ses propres pensées pendant les quelques instants de silence qui passèrent avant que Ai ne pose sa question. Son expression changea petit à petit et Ai perçut comme une fêlure dans le masque impénétrable que portait toujours la reine de glace. Elle semblait avoir réellement besoin d'aide, comme si là, maintenant, elle cherchait la solution à un problème qu'elle n'avait jamais pu poser à personne.

« Sempai... » commença-t-elle.

Sa voix fit frissonner Ai. Akutoku avait vraiment besoin d'aide et Ai se demanda l'espace d'un instant si elle serait à la hauteur. Qu'est-ce qu'elle pouvait avoir de si terrible sur le cœur pour sembler si fragilisée ? Il était si facile d'oublier que ceux qui sont au-dessus, ceux qui semblent si forts et imperturbables ont bien souvent des problèmes à la hauteur de leur caractère... Et il était certain qu'Akutoku en avait de gros, surtout si les rumeurs sur sa vie étaient exactes.

Et soudain elle détourna la tête. Cachant son visage à la lycéenne, il était cependant tout à fait évident que la lvl 4, toute reine de glace qu'elle était, pleurait. Ai aurait aimé la consoler tout de suite, l'aider à dépasser sa tristesse, mais elle avait peur d'empêcher Akutoku de lui révéler ce qui la troublait à ce point. Le pire qu'il aurait pu arriver, c'est qu'elle n'accepte finalement pas de se soulager de ce poids qu'elle portait depuis visiblement bien trop longtemps maintenant.

« Sempai… Est-ce qu’on a le droit de vivre après avoir tué des gens... ? Est-ce que… Est ce que c’est juste… ? »

Ai sentit une pointe de stress monter dans sa poitrine. Alors c'était ça qu'elle avait sur le cœur ? Prenant un instant pour réfléchir, Ai ferma les yeux et inspira longuement. Prenant sur elle d'ignorer la douleur, elle se redressa jusqu'à se retrouver assise sur le bord de son lit et, posant doucement les mains sur les épaules d'Akutoku, elle l'attira doucement à elle, venant mettre le visage de la reine de glaces contre son épaule dans une douce étreinte, posant sa main sur la tête de la jeune fille.

-« Ecoute... Le monde n'est pas "juste"... Sinon tu n'aurais jamais été dans une situation où tu dois te poser cette question... Mais s'il y a une chose dont tu ne dois jamais douter, c'est que tu dois vivre... Pour toi ou pour ceux qui tiennent à toi. » dit-elle d'une voix douce et rassurante.

Prenant un temps de pause pour réfléchir un instant, Ai se posa plusieurs questions quant à la déclaration de sa camarade. Elle avait donc tué des gens ? Probablement pendant cette terrible nuit. Après tout Ai aussi l'avait fait... enfin l'ancienne Ai en tous cas... Mais peut-être le problème remontait-il à plus loin ? Relâchant son étreinte, Ai laissa Akutoku reculer jusqu'à pouvoir la regarder dans les yeux, l'air compatissante.

-« Je ne sais pas vraiment ce que tu as vécu... Tu peux m'en parler si tu sens que ça te ferait du bien mais... Comment dire... » Ai baissa les yeux un instant avant de la regarder à nouveau, cherchant ses mots pour exprimer vraiment ce qu'elle avait à dire. « Peu importe ton niveau, ton pouvoir, qui t'a élevée ou d'où tu viens... Tu es toi. Toi, Akutoku, avec tes forces et tes faiblesses... Tu n'es pas parfaite ni toute puissante, et peu importe ce que tu as vécu et fait... tu as le droit de vivre et d'être heureuse... Ce que je dis est peut-être idiot et niais, peut-être que je ne comprends pas ce que tu as vécu, dans ce cas je m'en excuse mais j'aimerais... j'aimerais t'aider si je le peux. Je pense que tu es quelqu'un de bien, Aku... Et j'aimerais que tu t'en rendes compte aussi. Est-ce que... tu me laisserais t'aider ? »

Encore bouleversée par son propre déchargement d’émotions, la sensation des mains de sa sempai sur ses épaules vint faire taire le brouhaha dans sa tête. Elle ne résista aucunement lorsque Ai Etsu déposa sa tête sur son épaule. Aku laissa ses battements de cœur ralentir en sentant l’odeur des cheveux de sa sempai. Maintenant qu’elle y pensait, elle n’avait jamais eut autant de contact physique qu’aujourd’hui… Serrer Akai(ko) dans ses bras, et maintenant sa sempai… Est-ce qu’elle était devenue si faible que cela ? Est-ce qu’elle avait tant besoin de contact physique que ça ? Aku essaya d’arrêter de réfléchir un peu pour une fois, même si c’était dur.

« Ecoute... Le monde n'est pas "juste"... Sinon tu n'aurais jamais été dans une situation où tu dois te poser cette question... Mais s'il y a une chose dont tu ne dois jamais douter, c'est que tu dois vivre... Pour toi ou pour ceux qui tiennent à toi. »

La tendresse dans la voix d’Etsu-san enveloppa l’adolescente d’une chaleur rassurante. Sa voix à elle seule, désormais si proche de son oreille, était bien assez pour la bercer. Pourtant, elle se concentrait sur chaque mot et l’espace qui les séparaient. C’était presque comme une musique...

[ Ceux qui tiennent à moi... ]

Akutoku se surpris à revoir le visage de ceux auxquels elle avait pensé, ceux auxquels elle ne voulait pas parler de ses peurs. Elle ne put s’empêcher de sourire. Sentant l’étreinte se desserrer, Aku se sentit presque triste qu’on ne lui laisse pas un peu plus de temps. Cette présence maternelle lui donnait l’impression d’avoir enfin trouvé un havre de paix, un cocon sécurisé, chaleureux. Mais elle savait aussi qu’elle ne pourrait pas rester indéfiniment, tel un fœtus, dans ce calme plat. Elle avait déjà quitté cette phase, elle était déjà sortie du ventre de sa mère. Il était temps de revenir à la réalité. Elle avait vécu seize années sur cette planète, et il n’était pas encore temps de la quitter.

« Je ne sais pas vraiment ce que tu as vécu... Tu peux m'en parler si tu sens que ça te ferait du bien mais... Comment dire... Peu importe ton niveau, ton pouvoir, qui t'a élevée ou d'où tu viens... Tu es toi. Toi, Akutoku, avec tes forces et tes faiblesses... Tu n'es pas parfaite ni toute puissante, et peu importe ce que tu as vécu et fait... tu as le droit de vivre et d'être heureuse... Ce que je dis est peut-être idiot et niais, peut-être que je ne comprends pas ce que tu as vécu, dans ce cas je m'en excuse mais j'aimerais... j'aimerais t'aider si je le peux. Je pense que tu es quelqu'un de bien, Aku... Et j'aimerais que tu t'en rendes compte aussi. Est-ce que... tu me laisserais t'aider ? »

Malgré les pauses, Aku sentir que sa sempai savait de quoi elle parlait… Ou du moins qu’elle faisait de son mieux, et ça marchait. Elle avait raison… Évidemment, qu’elle avait raison ! Le cœur de l’adolescente aux couettes bleus accéléra de plus belle. Elle devait vivre. Évidemment ! Cette certitude était enfin revenue, plus forte, plus vraie. Elle était elle, et c’était ce qui comptait. Les muscles du visage de la Reine de Glace ne purent s’empêcher de dessiner un autre fin sourire maladroit. Tout cela n’avait rien d’idiot, ou de niais. Actuellement c’était.. C’était exactement ce qu’elle avait besoin d’entendre.

« Vous avez déjà… Vous m’avez déjà bien aidée, sempai, beaucoup. »

Il était difficile pour l’adolescente d’exprimer en paroles ce qu’elle ressentait actuellement. Évidemment, tout n’avait pas disparue, mais la voix d’Ai Etsu l’avait clairement remise sur les rails, et éloignée de ses ennuis. Mais les souvenirs de cette nuit là n’étaient pas disparus. Et honnêtement, elle espérait qu’ils ne disparaîtraient jamais, aussi difficiles pouvaient-ils être. Aku vint se frotter de nouveau les yeux avec sa manche, ses yeux rouges n’étant désormais plus que les seuls indices qui pourraient trahir ses anciennes larmes. Elle avala sa salive et vint redevenir sérieuse, se concentrant sur celle qui avait déjà beaucoup donnée. Mais elle…

« Je voulais juste… Juste savoir… Vous, sempai, ça va ? Ce soir là aussi, vous aviez… Enfin… Ce que vous m’avez dit… ça s’applique à vous aussi. »

Parler de son passé ? Akutoku n’y voyait aucun intérêt. Elle l’avait déjà assez fait… Elle avait déjà posé assez de poids sur l’épaule de sa sempai. Il était temps d’elle aussi, l’aider à décharger au moins un peu. Celle qui lui avait sauvé la vie, et qui désormais, continuait d’essayer de la lui embellir, et de la protéger… Sa sempai de Nagatenjouki et membre de Judgment, Ai Etsu.

« Moi aussi je tiens à vous. Alors vous ne pouvez pas désespérer. »

« Vous avez déjà… Vous m’avez déjà bien aidée, sempai, beaucoup. »

Tandis que Aku se frottait les yeux avec ses manches, Ai eut un léger sourire de soulagement. Si elle avait pu aider sa camarade alors tout était pour le mieux. Bon après il était certain qu'un simple discours n'allait pas régler ses soucis comme ça mais si elle avait pu lui permettre de se sentir ne serait-ce qu'un peu mieux alors ça suffirait pour le moment. La question qu'Aku posa ensuite fut cependant un peu plus surprenante.

« Je voulais juste… Juste savoir… Vous, sempai, ça va ? Ce soir là aussi, vous aviez… Enfin… Ce que vous m’avez dit… ça s’applique à vous aussi. » L'expression de Ai changea du tout au tout.

Son sourire s'effaça et laissa place à une expression plus neutre tandis que Ai réfléchit vraiment au sens de la question et surtout de la réponse à donner. Il ne s'agissait pas d'un simple "ça va ?" mais plutôt d'un genre de bilan de comment elle vivait aujourd'hui depuis cette fameuse nuit. C'était si compliqué...

« Moi aussi je tiens à vous. Alors vous ne pouvez pas désespérer. »[/quote]

Baissant les yeux et reposant ses mains sur ses cuisses, Ai prit un instant pour réfléchir. Elle ne pouvait pas tout lui balancer comme ça, tout lui expliquer, ce serait trop long et ça n'intéresserait probablement pas vraiment Akutoku. Mais comment résumer comment elle se sentait sans connaître tout le cheminement qui l'y avait menée ? Son amnésie, son syndrome post traumatique, tous ces efforts pour retrouver une stabilité émotionnelle... Ses réussites, ses échecs, ses désillusions et cette différence avec qui elle était avant qui l'avait amenée à se sentir comme divisée entre celle qu'elle était à ce moment et celle qu'elle était avant tout ça...

-« Je euh... Bah j'ai eu des moments difficiles mais ça va, je crois. C'est un peu compliqué tu sais... J'ai eu quelques soucis après mon arrivée à l'hôpital, je sais pas si tu le sais... Mais ça va mieux et je crois que le pire est derrière moi. T'en fais pas pour moi, va. » finit-elle en regardant à nouveau son interlocutrice.

Ai n'était pas sure de vraiment croire à tout ce qu'elle disait, elle avait encore du chemin à parcourir avant d'être totalement remise. En fait il restait surtout quelques barrières à franchir avant qu'elle puisse atteindre la destination mais elle n'arrivait pas à s'avouer clairement ce qui l'effrayait, alors comment pourrait-elle l'avouer à quelqu'un d'autre ? Aku avait ses propres problèmes, ce n'était pas le moment de lui en rajouter mais... et si elle pensait la même chose ? Peut-être qu'elles devaient apprendre à mieux se connaître avant de pouvoir se livrer l'une à l'autre.

-« J'ai une question qui va te paraître bizarre mais... est-ce qu'on est amies toutes les deux ? Je sais qu'on était dans la même école mais... au delà de ça je sais pas trop... »

Inspirant longuement, Ai se demandait comment Aku allait prendre la question. Elle n'était peut-être même pas au courant de l'amnésie de Ai et, si elles étaient proches toutes les deux, peut-être qu'elle n'apprécierait pas que Ai l'ait oublié... Enfin, maintenant elle l'avait dit tout haut, elle aurait bientôt la réponse.

« Je euh... Bah j'ai eu des moments difficiles mais ça va, je crois. C'est un peu compliqué tu sais... J'ai eu quelques soucis après mon arrivée à l'hôpital, je sais pas si tu le sais... Mais ça va mieux et je crois que le pire est derrière moi. T'en fais pas pour moi, va. »

Akutoku intégra les informations avant d’hocher la tête en croisant le regard de sa sempai, articulant un léger sourire. Évidemment qu’après tout ça, elle avait dû être obligé de se reconstruire. Aku n’arrivait pas vraiment à imaginer ce que ça pouvait faire. Jusqu’à maintenant, au contraire, elle avait pu tout garder en elle et tout contenir dans un coin de son cerveau sans jamais trop y repenser. Elle s’était congelée, cryogénisée mentalement en se gardant dans son état d’origine de la même manière qu’elle pouvait flash freeze ses tissus sans les endommager. Sans avoir revu Ai, elle aurait sûrement craquée, mais pas comme ça… Pas ici.

« J'ai une question qui va te paraître bizarre mais... »

« Mh ? »

« ...Est-ce qu'on est amies toutes les deux ? Je sais qu'on était dans la même école mais... au delà de ça je sais pas trop... »

[ Hu... ? ]

L’adolescente aux couettes bleus ne put s’empêcher de relever un peu la tête, la surprise transparente sur son visage. Elle ne s’attendait clairement pas à cette question. « Amies » ? Qu’est-ce que ça voulait dire, déjà ? Akutoku articula un autre sourire maladroit en regardant sur le côté, éloignant une mèche de cheveux. Comment on faisait pour être ami… Est-ce qu’Izayoi comptait ? Et Satoshi Sugimori ? En pensant à eux deux, elle se souvenait surtout de conflits… Et en même temps… Et Genji, alors ? Elle jouait toujours avec lui sur sa console. Et megane-kun, et Inoue-kun, Sumire-kun ? Des étudiants dans sa classe… Et Kimura-san, et le class rep… ? C’était compliqué… Si compliqué. Pourtant elle connaissait la réponse. Après sa pause, elle inspira en revenant à Ai, sans perdre son léger sourire qui se voulait indicateur du fait qu’elle se sentait mieux.

« On ne s’était jamais adressé la parole avant cette nuit là… Mais c’était vraiment la pire situation possible. Du coup… »

« ...Et si on devenait amies, Etsu-sempai ? »

C’était la première fois qu’elle disait ça à quelqu’un. C’était bien comme ça qu’on faisait ? On apprenais pas ça à Nagatenjouki Academy… Et décidément, c’était la journée des premières fois.

« Je suis pas vraiment très forte dans ses choses là… Mais je vais faire de mon mieux. Après que vous m’ayez sauvé la vie, c’est la moindre des choses ! »

La surprise sur le visage d'Akutoku confirma à Ai que la jeune fille n'était visiblement pas au courant du fait qu'elle avait perdu la mémoire suite au traumatisme de cette nuit-là. Et du coup, la question devait probablement semblait effectivement très bizarre à Akutoku et Ai se sentit légèrement honteuse, essayant de ne pas rougir mais sentant tout de même ses joues devenir toutes chaudes. Peut-être Akutoku la trouvait-elle bizarre maintenant et se demandait ce qui n'allait pas chez elle. Ç'aurait été pire que tout et Ai prit alors conscience d'une chose dont elle ne s'était pas vraiment rendu compte : c'était la première première personne avec qui elle sympathisait qui n'était pas là avant que sa nouvelle personnalité n'apparaisse. C'était finalement sa première amie, Haru et l'infirmière étant finalement plus proches de ce qu'elle aurait pu appeler une famille, eux qu'elle avait l'impression de connaître depuis toujours du coup.

Et finalement, après un temps d'hésitation qu'Ai comprit comme étant le temps nécessaire pour que Aku se rende compte si Ai était bizarre ou pas, elle répondit quelque chose qui rassura la pauvre amnésique qu'elle était.
« On ne s’était jamais adressé la parole avant cette nuit là… Mais c’était vraiment la pire situation possible. Du coup… »
Bon c'était rassurant parcequ'Akutoku avait répondu normalement et ça montrait donc que la question ne l'avait pas trop perturbée. Cependant Ai ne put s'empêcher de sentir une pointe de tristesse et de déception face à cette réponse négative.
« ...Et si on devenait amies, Etsu-sempai ? »

Ai marqua un temps d'arrêt. Elle sentit un genre de chaleur l'envahir et elle se mit à sourire instinctivement, sans même y avoir pensé. Regardant intensément Akutoku en ayant l'air visiblement plus calme et heureuse, elle ferma les yeux en inspirant longuement avant de les rouvrir.

-« Ça me ferait vraiment très plaisir, Reitoko-san. Devenons amies toutes les deux, le genre d'amies sur lesquelles on peut compter, ok ? »

Puis Ai prit un instant pour réfléchir. Qu'est-ce qu'elle était sensée faire maintenant ?

*Mince, on fait quoi quand on est amie avec quelqu'un ?*

Et soudain elle sembla avoir trouver une idée qui lui vint d'un coup, donnant presque l'impression qu'elle en était surprise.

-« Oh ! Euh... Tu as déjà mangé ? Je sais pas trop quelle heure il est, on pourrait manger ensemble si tu veux. 'fin sauf si tu dois préparer la finale. »

« Ça me ferait vraiment très plaisir, Reitoko-san. Devenons amies toutes les deux, le genre d'amies sur lesquelles on peut compter, ok ? »

Le sourire plein de maladresse d’Aku revint, toujours aussi perdu qu’auparavant. Qu’elle eut reçu une réponse positive ou négative, dans tous les cas, sa réaction aurait été la même. Ou peut-être pas.

« ...Faisons ça. »

[ ‘‘Le genre d’amies sur lesquelles on peut compter’’, hein… ]

Si elle ne savait pas identifier qui était qui dans son journal d’appel mental, Ai venait sûrement d’ouvrir la catégorie « ami » avec son nom. Ai Etsu, sa sempai, devenait sa première amie officielle et véritable, qui plus est une sur ‘‘laquelle elle pouvait compter’’. Ça sonnait bien. Voyant la surprise resurgir sur le visage de sa sempai, Aku se demanda si sa réponse n’avait pas été trop abrupte, peut-être. Mais ça n’était pas ça.

« Oh ! Euh... Tu as déjà mangé ? Je sais pas trop quelle heure il est, on pourrait manger ensemble si tu veux. 'fin sauf si tu dois préparer la finale. »

Akutoku cligna des yeux. Elle non plus n’avait aucune idée de quelle heure il était, à dire vrai. Mais elle n’avait que peu avancé sur ses tactiques contre Lena Anderson. Si l’horloge continuait à tourner sans qu’elle ne s’y intéresse, cela allait commencer comme son match contre Ai Etsu… Et finir autrement, cette fois, sur sa défaite indubitable.

[ La chance. J’ai eu de la chance. Et un pouvoir de niveau quatre. Lena Anderson a déjà les deux d’entrée de jeu. ]

L’adolescente soupira légèrement.

« J’n’ai pas mangé… Mais je dois me préparer aussi. Sempai, vous ne p-… Hum… Je peux vous appeler Etsu-kun… ? Vous ne devriez pas vous reposer un peu plus ? Si tout va bien, alors, nous n’aurons qu’à faire les deux… »

Hasardant un pied en arrière en tournant la tête vers la porte, Akutoku entendit les pas retentir de l’autre côté. Voyant l’expression de sa camarade, elle compris qu’elle aussi se demandait si ce n’était pas le bon moment de laisser son tour à celui qui était là depuis le début, l’insipide hérisson ahuri.

[ Il voulait aussi me parler, non… ? Ah, est-ce qu’il m’a dit son nom ? Il est grand, il doit être mon sempai aussi, surtout si il connaît Etsu-san…kun. ]

Aku vint lui ouvrir la porte, le laissant entrer en lui accordant un vague sourire et un regard présent derrière ses cernes sans vraiment afficher une émotion particulière.

Après plusieurs minutes en tête-à-tête avec sa canette de jus de fruit, Haruhiro avait fini par se mettre à réfléchir, son cerveau ayant redémarré. Tournant mentalement autour du pot sans vraiment parvenir à organiser ses pensées comme il le voulait, il s’écarta inévitablement du sujet malgré ses efforts.

[Quand même, je me demande bien de quoi elles peuvent parler, toutes les deux.]

Un adolescent restant un adolescent, il eut le réflexe de tout lycéen qui s’ennuyait un peu en tentant de se concentrer sur un sujet important : il sortit son téléphone.

[ De toute façon, si ça se trouve elle m’a même pas reconnu. C’est vrai quoi, vu son regard elle avait pas l’air d’en avoir grand-chose à faire, du fait que je voulais lui parler. Au pire… je m’en vais sinon ? ]

Voilà qu’il songeait déjà à abandonner. Et ben, pas glorieux le Haru. Secouant la tête pour chasser les idées de fuites qui naissaient les unes après les autres, l’esper jeta sa canette vide puis se dirigea vers la chambre d’Ai. De toute façon vu l’heure, Akutoku était probablement déjà partie se préparer pour son combat. Voilà, c’était pas mal ça, si elle est partie ça sera pas de ma faute si je la loupe du coup.
Cette idée en tête, Haruhiro leva la main pour toquer mais s’arrêta dans son mouvement quand la porte de la chambre s’ouvrit d’elle-même… sur le visage d’Akutoku.

[ Grngm. ], grogna-t-il mentalement, maudissant son karma.

Elle l’avait attendu ? Mais Ai était là aussi et l’adolescent aurait de loin préféré parler à Akutoku seul à seule. L’esprit pragmatique de Haruhiro choisit se moment pour se réveiller tardivement : d’un autre côté il n’était pas doué pour ce genre de choses. Donc en s’excusant auprès d’Akutoku en présence d’Ai lui évitait une double explication. À peu près du moins.

Esprit pragmatique éveillé ou non, sa tension venait de remonter en flèche ceci dit. Après avoir fermé la porte, le jeune homme s’éclaircit la gorge puis se lança :

« Hum… Reitōko-san, je vais pas te prendre trop de temps mais je voulais te présenter mes excuses pour… ce qui s’est passé cette nuit là. Enfin euh, les circonstances ont fait que…. Je ne voulais pas t’attaquer… j’ai paniqué. Désolé, j’espère que tu pourras me pardonner. »

Finit-il par articuler tant bien que mal avant de s’incliner en avant aussi bas que possible. Ses excuses étaient hésitantes et maladroites mais sincères malgré tout. Il ne restait plus qu’à espérer qu’Akutoku se souvenait au moins partiellement de son assaut. Parce que sinon, il n’aurait pas l’air fin, là.